Peyre - 1731 : quand la jeunesse défiait les autorités
Histoire(s)
Écrit par Jean-Yves Bou et publié le 17 Apr 2020
9 minutes de lecture
En complément d'une série d'articles publiés dans Le Journal de Millau, du jeudi 16 avril au jeudi 21 mai 2020
Nous sommes à Peyre en Rouergue - près de Millau - en 1731. Comme tous les ans, la jeunesse souhaite danser le jour de la fête votive, le dimanche 2 septembre. Mais cette année-là, les choses se compliquent ...
Plan de l'article :
1 - Quelques photographies de Peyre et de son patrimoine
2 - Les archives de l'affaire de 1731
3 - Des images pour illustrer un article
4 - Au-delà de l'affaire
1 - Quelques photographies de Peyre et de son patrimoine
Le Mas Nau, résidence seigneuriale au XVIIIe siècle, à droite, vu du village de Peyre
Un petit tour en images de l'ancienne église Saint-Christophe de Peyre :
L'ancienne église de Peyre, vue de l'autre rive du Tarn
L'assemblage architectural hétéroclite qui forme l'église troglodytique : à droite, la nef et le choeur, avec des arcatures romanes, mais des ouvertures reprises à plusieurs époques ; au centre la tour-clocher sur sa haute arcade et à gauche, un agrandissement du XVIe-XVIIe siècle, en appui. On remarque la bande de chaux qui court horizontalement, en particulier sur le clocher ; il s'agit d'une litre seigneuriale ou ceinture de deuil, qui était peinte en noir, avec des blasons de la famille du seigneur local, lors du décès d'un seigneur. On ignore sa date exacte.
La source venant du rocher, passant sous une voûte et par une belle porte, et coulant dans une vasque pour baigner les enfants souffrant de problèmes pour marcher
Le linteau daté de 1594 et son curieux blason : chèvre ou licorne ?
Le haut du portail ouvrant sur l'intérieur de l'église, vec sa date de 1609, le nom du prieur Boscari et une autre image de licorne ? ou de chèvre ?
Des pierres sculptées au nom des prieurs Bouscari et Peyrot, sans doute placés à l'occasion de restaurations du bâtiment. En haut : Messire maître Antoine Peyrot Restaurant prieur 1739. En bas : Maître Guilhaume Bouscari, prieur.
La place du village
2 - L'affaire de 1731
Cette affaire est connue par un dossier conservé aux Archives départementales de l'Aveyron, dans la série 2B, qui correspond aux archives du tribunal appelé présidial-sénéchal de Villefranche-de-Rouergue. Elle a fait l'objet d'un chapitre dans l'ouvrage de Jean Maurel, Des écarts de conduite, en Rouergue à l'aube des Lumières, paru en 2002.
Le dossier est constitué de la plainte du seigneur de Peyre au tribunal de Villefranche, d'une liste de questions et de témoins dressée par le magistrat instructeur, François Bonnefoux de Millau, représentant du tribunal de Villefranche, du cahier de l'enquête avec les dépositions des témoins, et des interrogatoires de trois inculpés. Ces documents permettent de rendre compte de multiples aspects de la vie locale d'un village rouergat au XVIIIe siècle.
La plainte du seigneur :
« Messire Etienne de Crozat, seigneur de Peyre, Creissels et autres places, habitant son château de Peyre, pour se conformer aux Edits royaux, et éviter les désordres annuels à Peyre au sujet des danses, excès et débauches que les habitants de Peyre avoient accoutumé de faire le premier dimanche de septembre de chaque année, lors de la feste votive du lieu, auroit fait deffendre de s'assembler ledit jour pour faire aucunes danses, louer des violons et s'occuper à d'autres choses qua assister aux offices divins, le prieur auroit pris la sage décision d'en avertir les paroissiens huit jours avant, et d'abolir un usage si contraire aux bonnes mœurs et à la religion,
[malgré quoi] le nommé Courtines, tisserand dudit lieu de Peyre, fils à autre et chef de la jeunesse, avec Antoine Mazes travailleur, (...) auroit eu la témérité de venir le 2 septembre courant, jour de la feste, prier le suppliant de vouloir bien permettre à la jeunesse de danser ce jour là avec des violons, ce que le suppliant refusa (...) cependant ils le firent avec un mépris des plus injurieux pour la deffense du suppliant, ils auroient eu la hardiesse de se mettre à la tête du reste de la jeunesse de Peyre, louer des violons, s'attrouper et danser à la veüe du sieur prieur, aller dans les cabarets boire et manger et crier à haute voix que ceux qui voudroient venir danser n'avoient qu'à venir, menaçant ceux qui ne vouloient pas venir, entre autres le nommé Galtier, travailleur, de lui arracher le foye, chassé de la place le lendemain qu'on continuoit de danser, lui disant que netant pas de leur troupe, il n'avoit qua se retirer, la place étant à eux ce jour-là, ayant même chanté ledit Courtines des chansons infamantes et ajouté par derizion quon alloit danser dans un endroit quil disoit netre pas de la terre de Peyre, procédé injurieux, répréhensible (...) il n'est pas permis aux vassaux de danser le jour de la fête votive sans la permission de leur seigneur (...) ».
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Les questions que maître François Bonnefous, avocat, commissaire du sénéchal de Rouergue à Millau, magistrat instructeur, souhaite poser aux témoins :
s'il n'est vray que Jacques Courtines a été fait chef de la jeunesse pour mener la danse le jour de la fête votive (...)
s'ils ont entendu ledit Courtines au cabaret criant du haut de la fenestre qui donne sur la place publique de Peyre de venir danser, puis sorti du cabaret en branle, un violon à la tête, avec Antoine Mazes, Jean Lafon dit Sauvat et Jean Courtines fils à feu Gabriel, dansant en présence du sieur prieur qui sortoit de l'esglise, puis descendu dans l'aire de la veuve de Courtines dit l'Héritier en bas du village, y dansent le reste de la journée (...)
sil est vray quils auroient dit quils prétendoient être en droit de danser dans ladite aire comme étant hors de la terre de Peyre, quoiquelle soit au bas du village et relève du seigneur (...)
sil est vray que le prieur auroit exhorté au prône du dimanche précédent à cesser cet abus, deffendu par la religion, les ordonnances royales et le seigneur (...)
sil est vray quils chantèrent des chansons qui mocquoient et tournoient en ridicule le sieur prieur (...) ».
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Les déclarations des témoins
Jeanne Miquel, épouse André Bonnefous, mégissier habitant Millau, 35 ans déclare qu'elle n'était pas présente ; elle sait que « les années précédentes y dansoit la jeunesse sur la permission que le seigneur lui en donnoit, à celle prez que feu messire de Crozat de la Croix décéda ».
Pierre Miquel, hôte de Peyre, fils à autre, 36 ans :
« tout le 2 septembre il fut occupé dans son cabaret pour servir à boire et manger, ne sortit que pour aller à Vêpres, ne sait pas si l'on y dansat (... tout le temps qu'il a été à marier, on dansoit à Peyre publiquement par la permission du seigneur le jour de la fête votive, sauf l'année du décez du seigneur de la Croix, mais on ne pratiquoit pas de faire de chef de jeunesse ».
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Etienne Salson, maître maçon des Douzes, paroisse de Comprégnac, 28 ans :
« il y a environ un mois quil travaille à Peyre chez le sieur prieur ; quelques jours avant, il accompagne ledit Mazes et le nommé Bourrel chez le seigneur pour le supplier (...) d'accorder la permission de danser (...). Il le leur défend expressément (...) Lui ne dansa pas, ne sait si les autres le firent. Vers 5 à 6 heures de l'après-midi le 2 septembre, il vit 10 à 12 jeunes dont Courtines et Mazes partir pour le lieu de Saint-Georges, pour le mariage de Courtines, parent, suivis par le sieur Auphin (...) »
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Charles Malzac fils d'Augustin, ménager de Peyre, 18 ans, parent de Courtines au 3e degré :
« dit que le prieur parla fort contre les danses et lut les ordonnances royales le dimanche précédent ; ne sait pas qui a poussé à danser ; ne vit pas de danse sur la place publique le 2 septembre ; ne sait rien de ce qu'il put se passer au bord du Tarn ; le lundi 3, ils reviennent de Saint-Georges avec Auphin et le garçon du sieur Perjet [Préjet], maître chirurgien de Saint-Georges, joueurs de violons ; ils dansent près de la maison des mariés ».
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Jean Galtier fils, travailleur, 15 ans
« (...) a été ce jour-là acompagner une de ses tantes jusqu'au gay [sic] de la rivière du Tarn, ne vit point qu'on dansa publiquement (...) tout le lendemain il a voiturer de la terre avec les mulets du seigneur (...) ne vit rien (...) ». En fin de déclaration, il ajoute : « il a été menacé par Courtines de lui arracher le foye s'il l'avait dénoncé au seigneur ».
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Sieur Thomas Sabadel, maître architecte de Lodève, 45 ans.
« Depuis un mois et demi à Peyre pour diriger maçons et manœuvres qui travaillent au chateau de Peyre (...) pour des cuves vinaires et autres ouvrages (...). Le 2 septembre, il se rend à l'issue de la messe avec le sieur prieur sur la place publique, il voit à la fenêtre du cabaret qui donne sur la place publique, un jeune homme, de 25 ans environ, et un autre moins âgé qui crient de venir danser (...) ils sortent du cabaret avec d'autres jeunes hommes et un violon, dansant en branle ensemble, traversent la place (...) vont à la rivière. A oui dire qu'ils y ont dansé avec des jeunes filles (...). a oui dire de deux jeunes hommes manœuvres au cuvier du chateau, que le seigneur avoit eu beau défendre de danser, ils ne croient pas qu'il eut le pouvoir de le défendre, la place de Peyre étant commune. Il leur répond qu'au contraire, le seigneur a ce droit. Ils répondent qu'ils seroient quitte en allant danser hors de la terre de Peyre (...) ».
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3 - Des images pour illustrer un article
Comment mettre en images cette histoire, au-delà des photographies du village de Peyre, certes très photogénique ...
Le branle
Je voulais illustrer la danse pratiquée par les jeunes de Peyre, le branle. Seule ressource pendant ce confinement de 2020 : Internet. J'ai trouvé deux gravures, l'une du XVIIe siècle, l'autre du XIXe siècle, qui représentent femmes et hommes dansant ensemble, alors qu'à Peyre, seuls les jeunes hommes ont dansé devant le prieur.
Le branle par Claudine Bouzonnet-Stella, 1667 (Bibliothèque Municipale de Lyon, wikicommons). Claudine Bouzonnet-Stella était une graveuse, peintre et éditrice française, née à Lyon en 1636 et morte à Paris en 1697. Elle est principalement connue pour ses gravures des œuvres de Nicolas Poussin et de son oncle Jacques Stella.
Branle d'Ossau par Bernard-Victor-Alfred Dartiguenave (Bibliothèque Municipale de Toulouse, wikicommons).
La justice
Difficile de trouver une image illustrant une scène de tribunal au XVIIIe siècle ...
Un magistrat, dessin de Pierre-Thomas Leclerc, 1782, Palais Galliera-musée de la mode
Allegorie de la Justice d'après Robert Bonnart, vers 1726, Musée du barreau de paris
« Des suppots de la chicanne, délivrez nous seigneur », gravure anonyme, fin XVIIIe s., Musée Carnavalet
A Villefranche-de-Rouergue, le présidial se trouvait sur le bord de l'Aveyron près du pont.
Vue aérienne de Villefranche-de-Rouergue, empruntée au site de l'Office de Tourisme
4 - Au-delà de l'affaire
En attendant mieux, quelques images empruntées sur Internet
La fête des cornards de Saint-Rome-de-Tarn
Les cornards de Sauxillanges
Le char des Cornards de Lunas
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