Les églises peintes de l'île de Møn (Danemark) : Elmelunde, Fanefjord, Keldby
Art
Écrit par Jean-Yves Bou et publié le 25 Mar 2017
8 minutes de lecture
Parmi les nombreux trésors patrimoniaux du Danemark, il faut signaler les peintures murales exceptionnelles des églises du pays.
Les églises médiévales danoises et leurs peintures
En effet, le Danemark conserve la plupart de ses anciennes églises villageoises médiévales, dont l'intérieur était couvert de peintures murales, en danois Kalkmalerier. Ces peintures ont pu être réalisées dès la construction de l'église ou plus tardivement, et parfois recouvertes par de nouvelles peintures. Toutes les époques sont donc représentées, du XIIe au XVIe siècle. Dans un premier temps, la Réforme luthérienne imposée par le roi en 1536, n'a pas changé la pratique ancestrale. Mais au fil des siècles suivants, de nombreuses peintures furent recouvertes de chaux ou détruites. À partir du milieu du XIXe siècle, un intérêt nouveau pour ce patrimoine le ramena progressivement à la lumière.
Les bâtiments
Les églises danoises sont souvent bâties sur le même modèle : un bâtiment en briques, qui alternent parfois avec des moellons de pierre. La nef et le chœur sont généralement deux volumes simples accolés. Ils furent d'abord recouverts d'un plafond en bois, puis parfois voûtés au XVe ou au XVIe siècle. Un clocher, souvent massif et plus tardif, complète l'ensemble. Sur les murs extérieurs, la brique a permis des jeux de reliefs. De nombreuses églises sont blanchies.
Églises de Keldby (photo Solène Cambefort) et de Fanefjord sur Møn (photo JYB)
Églises de Brarup et Stadager sur l'île de Falster
L'atelier d'Elmelunde
L'un des ateliers de peintures murales fut actif au tournant des XVe et XVIe siècles sur les îles de Møn et de Falster, situées à l'extrême sud-est du pays. Il porte le nom d'une des églises qu'il a ornée, Elmelunde. Les églises de Fanefjord et de Keldby sur Møn, et de Tingsted sur Falster, sont également concernées. Cet atelier a travaillé à la décoration de voûtes, alors récemment posées. Son style est singulier. Sur un fond blanc, orné de nombreux motifs floraux, des scènes de la Bible ou des représentations allégoriques moralisantes sont peintes dans un style que l'on pourrait qualifier de naïf.
Les trois photographies suivantes permettent de comparer le traitement de la même scène, la tentation, dans trois édifices différents. L'atelier s'est adapté au contexte : beaucoup plus de surface à Fanefjord, permettant de peindre une seule scène par pan de voûte, alors que dans les deux autres églises, deux scènes ont été regroupées. La nef d'Elmelunde est plus étroite et le voûtement plus en pointe, imposant des scènes plus resserrées. Par ailleurs, on constate que si les codes iconographiques sont les mêmes, il existe des différences stylistiques entre les trois peintures.
Peintures de l'atelier d'Elmelunde dans l'église de Fanefjord : la tentation
La tentation et Adam et Eve chassés du paradis dans les églises d'Elmelunde et de Keldby
L'église d'Elmelunde
Il ne reste que la nef de l'église originelle, qui était peut-être la plus ancienne de l'île de Møn. Près de l'entrée nord du bâtiment, une partie de la chaux blanche a été enlevée pour laisser découvrir l'ancien appareillage de pierre, très différent de la brique utilisée ailleurs. La nef fut agrandie vers l'ouest à l'époque romane tardive. La base de la tour est datée de vers 1300, alors que sa partie haute remonte au début du XVIe siècle. C'est à la même période que le chœur fut rebâti. Le voûtement de la nef fut ajouté vers 1460.
Les peintures murales attribuées à l'atelier dit d'Elmelunde furent réalisées après la reconstruction du chœur.
L'adoration des mages
L'église de Keldby
L'église de Keldby est à l'origine de cet article, car depuis presque dix ans, je la fais visiter aux élèves du lycée de Millau qui participent à l'échange avec le lycée danois de Vordingborg.
L'église est située sur la route qui conduit de Stege, ville principale de Møn, à la magnifique forêt de hêtres qui surplombe les fascinantes falaises de craie de Møn. On y trouve des peintures de trois périodes différentes.
vue générale sur l'intérieur de l'église de Keldby - photographie Lise Lassauvetat
Le bâtiment
L'église de Keldby date en partie de la fin de l'époque romane danoise . En effet, le chœur et la nef sont datés de la première moitié du XIIIe siècle. Le clocher fut ajouté au XVe siècle. Son ornementation est caractéristique du gothique tardif danois. Vers 1480, la nef fut voûtée et le chœur surhaussé par les lits de pierre calcaire. Une petite sacristie fut ajoutée vers 1700.
Les fresques du XIIIe siècle
Sur les murs du chœur, des fresques romanes datées de 1275 environ, représentent des scènes bibliques. Mais elles ont été en partie détruites par la construction de la voûte et l'agrandissement de l'arc triomphal. La technique utilisée est proche de celle de la fresque.
Les peintures du XIVe siècle
Mur septentrional de la nef - photographie Solène Cambefort
Une scène représentant peut-être le mariage du roi Valdemar Atterdag avec la reine Helvig (1340) et un apôtre ou un clerc à son pupitre
Les murs de la nef étaient couverts de peintures datées du XIVe siècle ; il n'en reste qu'une partie, sur l'arc triomphal – le Jugement dernier - et sur le mur septentrional (Moïse et Aron, histoire de la Vierge, peut-être le mariage du roi danois Valdemar Atterdag et de la reine Helvig, en 1340). Certaines couleurs ont disparu, ce qui explique l'impression d'esquisses inachevées.
Les peintures de l'atelier d'Elmelunde à Keldby
Sur les voûtes de la nef, se trouvent les peintures de l'atelier d'Elmelunde, réalisées vers 1500-1520. Elles illustrent le nouveau testament, avec une composition originale mêlée de motifs floraux et d'animaux fantastiques. Il s'agit d'une peinture a secco, c'est-à-dire appliquée sur un enduit sec.
L'Annonciation, la Visitation et la licorne
La fuite en Egypte et la création d'Eve
Le mobilier
On trouve souvent, dans les églises danoises, de beaux éléments de mobilier.
Le retable gothique de Keldby - photographie Solène Cambefort
Le retable est daté du début du XVIe siècle. Il est dédié au patron de l'église, Saint-André et sa fameuse croix. Il présente quatre scènes de la vie du saint : il est appelé par le Christ alors qu'il pêche sur le lac de Tibériade, il ranime 40 marins noyés, il aide un évêque tenté par le diable et il est crucifié. Les scènes sont entourées des onze autres apôtres et d'un évêque, peut-être Saint Kjeld.
L'église conserve également une chaire à prêcher de 1586 et une pierre tombale du XIVe siècle.
L'église de Fanefjord
Le bâtiment est isolé dans la campagne au sud de l'île de Møn, sur une colline dominant un petit fjord du même nom, face à l'île de Falster. La nef, divisée en deux par une rangée de colonnes centrales portant des voûtes gothiques, est datée de la fin du XIIIe siècle. La tour fut ajoutée au début du XVIe siècle. Le chœur original fut rebâti ultérieurement, sans doute au XVIe siècle.
Les peintures sur le mur oriental de la nef. Photocollage.
Les peintures murales furent restaurées en 1932-1934. Elles datent de deux périodes différentes : du XIVe siècle, pour celles qui ornent l'arc triomphal et des environs de 1500 pour celles de la nef, considérées comme les plus remarquables de l'atelier d'Elmelunde.
à droite, la Résurrection de Lazare
L'église de Tingsted
Une quatrième version de la tentation
Elle se trouve sur l'île de Falster et l'on y admire aussi des peintures de l'atelier d'Elmelunde.
Le baptême du Christ
La roue de Fortune
Bibliographie
The churches of Møn, by Birgit Als Hansen, M. Røpke, TM, Stege, 1998
Danish murals, a world to discover, by Ulla Kjaer, Ministry of ecclesiastical affairs, Copenhague, 2000.
Sitographie
Un article (en danois) sur l'église de Keldby sur le site du Musée National (Natmus).
La page en anglais (en partie) du même site concernant les peintures murales des églises danoises.
Un site sur les peintures murales danoises, kalkmalerier, que vous pouvez traduire dans la langue de votre choix, pour le meilleur ou pour le pire ...
Pour une notice scientifique en danois et des photographies du retable, allez sur le site des retables médiévaux danois, cliquez sur simple søgning (recherche simple), tapez keldby, cliquez sur start søgning (lancer la recherche), choisissez le deuxième article (RO.12.06.01). Les liens vers les photographies sont en bas de la notice.
Je remercie Ulla et Erik, mes hôtes danois, avec qui je partage chaque année la découverte du patrimoine de cette région du sud-est du Danemark
Laurence D.
Merci pour cet article riche et très complet. J'ai visité Elmemunde ce matin et prendrai grand plaisir à re-découvrir les trois autres. J'étais venue sur l'île il y a une trentaine d'années. Et c'est certain, à vélo, je n'avais pas poussé jusqu'à Falster. Émouvant cet art naïf et balbutiant d'un monde non globalisé où les techniques de dessin de la Renaissance mettaient du temps pour arriver jusqu 'ici. Bravo pour l' échange et encore merci.