L'histoire des hôpitaux à Millau du Moyen Âge au XXe s.
Histoire(s)
Écrit par Jean-Yves Bou et publié le 28 Jan 2017
29 minutes de lecture
L'ancien hôpital - ou Hôtel-Dieu.
Introduction, bibliographie et sources
Je remercie Jacques Frayssenge, archiviste honoraire des Archives municipales de Millau, auteur de l'inventaire des archives de l'hôpital et de plusieurs articles.
Mon article est tiré du texte d'une visite et d'une conférence préparées en 2004 et 2005, dans le contexte de menace de fermeture des hôpitaux de Millau et de Saint-Affrique. Douze ans plus tard, la menace est toujours présente, et cette histoire toujours passionnante.
Les sources sont nombreuses, principalement concentrées aux Archives municipales de Millau pour le Moyen Âge et l'Ancien Régime et aux Archives départementales pour le XIXe siècle (série X).
Bibliographie :
- Bastide Anne, Pauvres et pauvreté à Millau au XVIIIe s. d'après les archives hospitalières (1725-1789), mémoire de maîtrise, Université de Montpellier, 1992.
- Frayssenge Jacques, "Evolution de l'histoire hospitalière à Millau : XIIe-XVIIIe siècles", dans Bulletin de la Société Française des Hôpitaux, n° 62, 1990, pp. 43-50.
- Rouquette Abbé J., Histoire de l'hôpital de Millau, Millau, 1890.
Assistance et charité au Moyen Âge
Le Moyen Âge est une période bien étudiée pour l'hôpital de Millau. Les nombreuses archives ont permis en particulier les études de l'abbé Rouquette et de Jacques Frayssenge. Millau disposait alors de plusieurs bâtiments qualifiés d'hôpitaux.
L'Hôpital mage de Millau
L'actuel bâtiment appelé ancien Hôtel Dieu a porté plusieurs noms au cours de l'histoire : Hôpital mage au Moyen Âge, il devient Hôpital général au XVIIIe siècle, puis hospice avec la Révolution française. Il portait le nom de mage, parce que c’était l’hôpital principal - majeur-, sans doute pour le distinguer des autres hôpitaux qui existaient dans la ville.
La fondation
La première mention - discutée - de l'hôpital de Millau est de 1164. Celle de 1178 est sûre.
Dans ce texte du XVIIIe siècle, les administrateurs rapportent que les actes de fondation furent détruits pendant les guerres de religion, mais la tradition attribue la création de l'hôpital à une certaine Imberte d'Aragon, qui n'a pas précisément été identifiée.
Il se trouve que le XIIe siècle est un temps fort de création d'hôpitaux. On sait par exemple que l'Hôpital d'Aubrac fut créé au tout début du XIIe siècle, comme l'Hôpital-Guibert (ou Hospitalet du Larzac) par le vicomte de Millau Gilbert. Jacques Bousquet suggère qu'un hôpital devait aussi exister à Millau et qu'Imberte pourrait être Gerberge, femme de Gilbert. Rappelons qu'au XIIe siècle, Millau entre dans la dépendance des Comtes de Barcelone (1112) puis des Rois d'Aragon (1172, d'où le blason de la ville, et la Charte communale, confirmée en 1187).
Cette phase de créations d'hôpitaux correspond au moment d'urbanisation et de restructuration politique de l'Occident médiéval. Dans une sorte d'élan de concurrence et d'émulation, les puissants fondent des hôpitaux dans leur ville.
Ces fondations répondent à un appel religieux, c'est une œuvre de charité : pour le salut de leur âme, pour être pardonnés de leur richesse, et de leurs péchés, nobles et riches bourgeois créent des établissements destinés à ceux qui souffrent sur cette terre. Ces établissements sont associés à des biens fonciers qui permettent de dégager l'argent nécessaire à leur fonctionnement. Il s'y ajoute des donations, comme celle d'Alphonse d'Aragon à l'Hôpital de Millau en 1184 - une rente de 4 setiers de froment et de seigle par an. Des religieux sont affectés à la gestion, sous la direction de l'évêque.
Les fonctions d'un hôpital médiéval
Tous ceux qui souffrent peuvent demander l'hospitalité et être accueillis : non seulement les malades, mais aussi les pauvres, les mendiants, les pèlerins, les orphelins, les enfants abandonnés, les veuves indigentes, les vieillards et les infirmes.
Par opposition à la spécialisation de certaines fondations, l'Hôpital mage est "généraliste". Les malades n'y recevaient pas de soins réels (sinon des sirops, des saignées ou des bains) et se trouvaient tous ensemble, plusieurs par lit la nuit, sans souci de la contagion, sauf dans des cas graves. Les premiers médecins ou chirurgiens hospitaliers apparaissent au XIVe siècle (1330 à Marseille), alors que l'art de la médecine arabe s'est progressivement implanté dans le midi de la Chrétienté depuis deux siècles. Cependant la réelle médicalisation des hôpitaux n'intervient qu'au XIXe siècle.
Les bâtiments, le patrimoine et la gestion
L'Hôpital mage était donc situé à l'emplacement de l'ancien Hôtel-Dieu, dans un angle du rempart de la ville, entre la porte du Jumel et la petite porte de Lattes.
Il était sous une triple dépendance : celle du roi (les rois de France se considérant en l'occurrence comme héritiers des rois d'Aragon), celle de l'évêque de Rodez, qui prétendait contrôler l'établissement, et celle des consuls de la ville, qui en avaient la gestion temporelle au nom du roi. Sur ce dossier, comme sur beaucoup d'autres, il y avait un conflit d'autorité entre la ville et l'évêque.
L'Hôpital possédait un patrimoine important fait de donations. De nombreux revenus lui étaient affectés. Les dons et legs qui étaient affectés à l'hôpital servaient à son entretien et celui des malades et des pauvres qu’il accueillait. Ils étaient propriétés de la ville.
Les autres institutions hospitalières
Les fondations furent extrêmement nombreuses au XIIe siècle ; en ville, dans les villages (Compeyre, Creissels, …), sur les grands chemins (Aubrac, hôpital Saint-Michel, hôpital des Vals), avec des biens d'importance très inégale.
Au Moyen Âge, il existait à Millau au moins quatre hôpitaux autres que l'Hôpital mage (le nombre d’hôpitaux était fonction de donations, il était également lié à l’installation d’ordres religieux spécialisés dans les soins, il variait d'une ville à l'autre).
L’Hôpital du Saint-Esprit
Fondé à Millau en 1200 par le roi Pierre d’Aragon, géré par l’ordre du Saint-Esprit (créé par Gui de Montpellier en 1198), pour les enfants abandonnés, situé rue du Barry (ou faubourg de l'Ayrolle), il tirait ses revenus de vignes à Tenens et du domaine du Saint-Esprit à La Bastide-Pradines.
L’hôpital Saint-Antoine
Situé dans la rue Saint-Antoine, il était tenu par les moines Antonins, qui soignaient le mal des ardents ou feu sacré -l'ergotisme, maladie du seigle qui provoque chez l’homme une gangrène de la peau et des membres. Il fut fondé au XIIe s (mention en 1163).
L'hôpital Saint-Jacques
Moins documenté, il existait au XIIIe siècle, situé rue Saint-Antoine (ou hors-les-murs sous la porte Saint-Antoine). Il était certainement destiné aux pèlerins. Il fut réuni à l'Hôpital mage dès 1299.
La Maladrerie Saint-Thomas ou léproserie
Elle fut fondée en 1153 par un membre de la famille vicomtale pour accueillir les lépreux. Raymond del Puech, le donateur, lui attribua un domaine important devenu l’Hôpital du Larzac, et y entra comme frère. A la même époque, les léproseries se multipliaient - on en compte 2000 au début du XIIIe siècle. Elle fut installée de l'autre côté du Tarn, à l'écart mais pas trop loin de la ville, où les ladres pouvaient venir mendier avec leur crécelle. Ils vivaient en communauté, selon une règle inspirée des monastères. La chapelle Saint-Thomas fut rebâtie au XVIIe siècle. Il y avait encore des familles de lépreux vivant à la Maladrerie (voir mon article sur les Les lépreux en Rouergue au XVIIe siècle). Les biens furent rattachés à l’Hôpital mage à cette époque.
On pourrait ajouter les maisons millavoises des ordres hospitaliers : celles des commandeurs d'Aubrac, des Templiers et des Hospitaliers de Saint-Jean-de-Jérusalem. Mais avaient-elles des fonctions hospitalières ?
Les charités et les aumônes
Outre les fondations d'hôpitaux, les riches nobles ou bourgeois du Moyen Âge pouvaient fonder des charités ou des aumônes. Il s'agissait d'affecter les revenus en nature d'un bien-fond à une œuvre sociale de distribution aux pauvres, généralement par les hommes d'église, curé ou prieur pour Millau.
A Millau on a gardé la trace de 4 charités et de l'aumône du prieur de Notre-Dame de l'Espinasse.
La transformation de l'hôpital sous l'Ancien Régime : de la charité au grand Renfermement
L'évolution du statut
Les hôpitaux, de Millau en particulier, connurent une période difficile entre le XIVe siècle et le XVIIe siècle, liée aux troubles multiples (guerre de 100 ans et de religion) et aux grandes pandémies de peste. Leur fonctionnement changea peu, alors que les connaissances médicales s'accroissaient.
Le poids des consuls dans la gestion se renforça avec la sécularisation générale des pouvoirs. Pour Millau, ce sont les lettres patentes de Louis XI du 27 juillet 1472, qui confirmèrent le rôle des consuls comme patrons et administrateurs de l'Hôpital mage, mais l'évêque garda une place prééminente. En 1561, un édit royal réduisit le nombre d'administrateurs à trois personnes élues par le conseil de ville pour 3 ans. L'évêque conserva son droit de regard.
C'est alors que se transforma progressivement la perception de la pauvreté et du pauvre. On passa de la vision médiévale d'une pauvreté christique, à laquelle on devait assistance pour son salut, à celle du mendiant et du vagabond oisif, parasite de la société, dangereux ou fainéant et qu'il fallait isoler et faire travailler. Parallèlement à la mise en place des structures bureaucratiques de la monarchie absolue, le pouvoir royal voulut réformer l'hôpital pour une gestion plus stricte, plus contrôlée. Le contrôle devait aussi s'exercer sur les individus.
C'est le modèle de l'Hôpital général de Paris (1656) qui dut s'étendre à l'ensemble du Royaume. Les Hôpitaux généraux (1662) étaient des institutions habilitées à recevoir et enfermer les mendiants et les vagabonds et à les faire travailler. Une aide financière de l'Etat permettait d'aménager les locaux et de répondre aux exigences nouvelles. Une taxe était levée spécifiquement pour la distribution des secours. L'intervention de l'Etat dans le domaine social commença alors, mais sous une forme plus répressive que consolatrice.
Un Hôpital général fut créé à Rodez en 1676. A Millau, un conflit d'autorité entre l'évêque et les consuls retardèrent la mise en place de la structure.
En 1724, une nouvelle déclaration royale renforça la législation précédente sur l'enfermement. Dans la généralité de Montauban, on estima qu'il était nécessaire d'ouvrir un Hôpital général à Millau, en particulier au vu de sa situation sur un axe de communication principal. L'autorité de l'intendant permit de résoudre le conflit antérieur : le juge royal mit en place l'institution avec l'accord de l'évêque et des consuls. Arrêt du Conseil du Roi du 2 octobre 1725 décrétant la mise en place de l'Hôpital général de Millau.
Le bureau d'administration fut élargi à quatorze personnes, sept autorités et sept élus représentant les notables de la ville pour trois ans. L'évêque présidait théoriquement le bureau qui se réunissait tous les dimanches dans la salle de l'hôpital autour d'une table ronde. Un syndic pour la gestion juridique des biens de l'hôpital, un trésorier pour les comptes et un receveur des grains (et des biens, chargé de leur vente) étaient élus. Un économe dirigeait l'établissement au quotidien et gérait le personnel. On trouvait aussi un greffier et un chapelain. Trois médecins de la ville par alternance, six chirurgiens et trois apothicaires se chargeaient de l'aspect médical. Des veuves dévotes, logées à l'hôpital contre la donation de leurs biens, s'occupaient des malades, et des religieuses aidaient les pauvres (sœurs de l'Union et sœurs grises). Une cuisinière, un portier, un garde-bois et l'archer de l'écuelle complétaient le tableau. Ce dernier était chargé des mendiants et vagabonds.
La législation contre les pauvres se renforça tout au long du XVIIIe siècle (par exemple en 1764, avec la création des dépôts de mendicité). Pourtant, l'application sur le terrain n'était pas aussi systématique, le coût pour les Hôpitaux généraux était trop élevé et certaines années, ils n'arrivaient pas à assurer leurs missions.
Les difficultés financières permanentes et le rattachement des aumônes et des autres hôpitaux.
Les biens attribués à la fondation ne suffisaient plus à assumer les dépenses de l'hôpital. Aléas climatiques, gonflement des effectifs, frais d'entretien, réparations ou construction de nouveaux bâtiments aggravaient ces difficultés, malgré ce que rapportaient les biens fonds, les rentes, les droits féodaux et les dons et legs. Certains prétendaient que les biens n'étaient pas toujours correctement gérés, en tout cas, les administrateurs ne cessaient de demander des aides.
Un des apports consista à rattacher les différentes fondations médiévales au seul Hôpital mage puis général.
En 1561, les hôpitaux du Saint-Esprit et de Saint-Antoine et la charité Saint-Nicolas furent intégrés à l'Hôpital mage. La maladrerie Saint-Thomas lui fut rattachée en 1672-1696.
Puis ce fut au tour de la charité Saint-Marc, des hôpitaux de Creissels et de Compeyre, et des aumônes de Lavernhe et Saint-Privat (1729), Connac (1742), Saint-Léons (1752), Gaillac (1754-55) et Notre-Dame-de-Millau (1741). Elle apportèrent un approvision-nement en grain, qui régla momentanément le problème au milieu du siècle ; mais avec les aléas climatiques de la seconde moitié du XVIIIe siècle, la question des ressources de l'hôpital se posa de nouveau.
Les propriétés de l'hôpital à la veille de la Révolution étaient les domaines de l'Hôpital du Larzac (avec bois et four à chaux), de La Baume du Saint-Esprit, du Mashuc (bois), de Brocuéjouls (avec bois), de Recoules (Sainte-Radegonde) et de la Maladrerie (vigne et glacière). Sans compter de nombreuses maisons en ville.
Les bâtiments
Les bâtiments de l'ancien Hôpital général ont disparu avec la reconstruction du XIXe siècle. On ne sait pas à quoi ils ressemblaient, sinon qu'il s'agissait de plusieurs bâtiments issus de constructions et reconstructions d'époques différentes. Les inventaires du début du XIXe siècle permettent par contre d'en connaître les salles et le mobilier, mais on ne sait pas comment ils étaient disposés.
Les archives que j'ai pu consulter montrent un foisonnement de travaux après 1725. Ils permettent l'agrandissement de l'hôpital qui était auparavant "fort peu de chose", 30 lits selon un texte de 1750 qui résume ces travaux. On agrandit l'ancien bâtiment, on bâtit une salle pour le bureau et au-dessus une nouvelle salle à 18 lits, une autre salle pour la manufacture et au-dessus une salle de 19 lits. En 1727-1729, l'hôpital demande d'ailleurs l'autorisation au roi de pouvoir s'étendre par dessus la porte de Lattes, une petite porte dans les remparts, qui se trouve contiguë à l'hôpital et il obtient de pouvoir "jeter un arceau" par dessus pour construire une des deux nouvelles salles sans toutefois pouvoir toucher les remparts de la ville. Dans un second temps, il obtient de pouvoir baisser les murs de la ville à la hauteur de 11 pieds (3m50) du côté de la cour le long de l'hôpital seulement, car ils obscurcissent et rendent malsaines les nouvelles salles (on n'y voit rien dans la cuisine et la chambre de travail). En 1732, des galeries sont bâties côté Tarn (terrasses sur les remparts), on augmente les greniers et on construit deux "chambres de force" dans lesquelles on enferme tous les soirs les nombreux pauvres de passage à Millau. Un grand jardin s'étend au niveau des promenades, qu'on a dû clore (cela suppose que les murs de la ville ont été totalement arasés). En 1744 deux nouvelles chambres, puis un lavoir, un four et une fontaine ont été bâtis à l'intérieur de l'hôpital, ce qui permet des économies, comme les gages des porteurs d'eau. Le projet d'agrandissement au-dessus de la porte de Lattes (chambre des femmes et manufacture), ne semble pas réalisé, ni l'acquisition de maisons voisines.
Dans l'ordre des inventaires, on trouve : l'église, la sacristie, la chambre près de l'église, la chambre du portier, la chambre des couturières, la salle du conseil (décoré du portrait de dame Imberte d'Aragon), la pharmacie, un petit cabinet qui sert pour les archives (ancienne pharmacie), une grande cave et une petite cave, le magasin de bois, le réfectoire et l'office, la cuisine, un salon et un arrière-salon, la chambre de la cuisinière, la basse-cour des poules et la buanderie. S'y ajoutent un moulin, une écurie, une loge à cochon et une écurie des brebis, la facture (atelier de textile), la chambre de l'économe, le grenier à blé (l'inventaire de 1817 signale quatre tapisseries d'Aubusson qui ont été jetées au fumier après avoir servi de couvertures pour les militaires), l'escalier sous la chambre de l'économe (pharmacie?), la salle des hommes, la salle des enfants, un vestibule, l'infirmerie des femmes (on y trouve six berceaux), la salle des filles, la chambre du linge sale, la chambre des sœurs, la salle des femmes, la chambre de la lingère, une autre chambre occupée par une veuve, l'infirmerie des hommes et la lingerie.
On sait aussi que l'hôpital achète une petite maison avec jardin pour accueillir les pauvres de Saint-Léons après le rattachement de l'aumône ; maison qui ne suffit pas puisque dans le conflit qui oppose l'hôpital et la communauté des habitants (1773-1775), les administrateurs prétendent qu'il est venu jusqu'à 175 pauvres de Saint-Léons. La violence du conflit oblige l'hôpital à renoncer aux revenus de cette aumône.
Les personnes accueillies à l'hôpital
Quelques extraits du registre des entrées et du mortuaire :
Du 19e no[vem]bre 1724. François Blanc âgé denviron soixante dix ans, natif dasinieres parroisse de Salsac, taille de cinq pieds deux pouces [1,67 m], cheveux noirs un peu mêlés de gris, sourcils châtains et fort clairs, les yeux roux, la bouche grande, le nais aquilin, le vizage maigre et décharné, ayant la jambe droite cassée et estant asmatique est entré en lhopital estant ors d'estat de gagner sa vie par son travail.
Jean Rouquette de La Clau apporte une lettre de son curé certifiant que sa maison a brûlé, et qu'il a perdu tous ses cabaux (bestiaux) et il prie très humblement l'hôpital d'accueillir trois de ses enfants, en ayant sept à nourrir.
Antoine Ricard de Saint-Léons, 30 ans, arrêté par Raynal archer, estant en demance lui aurions demandé pourquoi il mendioit, a respondu navoir de quoi vivre, le bureau ayant délibéré l'auroit condamné à rester huict jours dans la chambre de punition au pain et à l'eau (décembre 1725) ;
Il est de nouveau arrêté en janvier 1726 et demande de rester à l'hôpital.
Parmi les autres raisons invoquées pour être admis à l'hôpital, on trouve : caduc et invalide, atteint de fièvre continue, tumeur au genou, fille-mère, enfant abandonné, enfant orphelin, pleurésie, estropié-né ne pouvant se servir de ses mains, incommodé du vertige, etc.
La plupart des personnes accueillies sont de la région de Millau, mais il y a aussi des gens de passage :
Pitro Molone, natif de Duplingue, capitale d'Hirlande, 65 ans.
- Pierre Dufour, dit La Tulipe, soldat protestant, natif de Montauban, 28 ans, a refusé de se convertir, enterré à 10 heures du soir à la promenade publique de La Grave.
- Susanne Labrune, 70 ans, native de Genève, veuve d'Abraham Lacoste, suisse, maître chirurgien, entrée en 1734, a abjuré la religion de Calvin après avoir servi, travestie en homme, dont 40 ans dans différents royaumes en qualité de soldat et de maréchal des logis !!
Derrière ces exemples, on retrouve la variété des cas d'admission. Les effectifs ne cessent d'augmenter, avec des pics les années de mauvaise récolte et de crise. Par exemple début juillet 1749, il n'y a plus ni grain, ni argent et l'hôpital doit emprunter 2000 livres.
Les personnes accueillies par l'hôpital doivent travailler. C'est dans ce but qu'est créée la manufacture de petits cadis, tissus en laine du nord du Rouergue amenée par les marchands de Saint-Affrique et Lodève à Millau pour être lavée dans le Tarn, filée et cardée, puis travaillée à l'hôpital. Le texte de 1750 vante sa qualité. Il est commercialisé par les marchands de Sévérac, Saint-Geniez, Marvejols et La Canourgue vers Gênes et l'Italie. On fait venir des spécialistes de Saint-Geniez pour mettre en place la fabrique. Ce sont les sœurs de l'Union du Travail qui s'occupent de l'atelier.
L'Hôpital s'occupe aussi de placer des enfants en nourrice (142 nourrices en 1772-1780) (voir l'étude d'Anne Bastide).
De la Révolution au milieu du XXe siècle
La Révolution a sécularisé les hôpitaux qui ne l'étaient pas. A Millau, l'hôpital était depuis l'origine une institution communale, gérée par des administrateurs issus du monde des notables de la ville. Son statut ne change donc que très peu, même si il prend le nom d'Hospice. Il conserve ses propriétés, mais perd les droits féodaux (impôts seigneuriaux). Ses revenus diminuent donc …
Les archives de l'Hospice du XIXe siècle et du XXe siècle sont encore abondantes. Que nous apprennent-elles ?
La gestion de l'hôpital
Elle conserve les mêmes structures : commission administrative liée à la mairie, avec un cercle de notables ; mais elle est étroitement contrôlée par le représentant de l'État, le sous-préfet de Millau. Progressivement, l'administration de l'hôpital se bureaucratise, le budget devient de plus en plus précis, répondant aux évolutions de la comptabilité publique.
Les problèmes de financement sont permanents, mais on a l'impression qu'au fil du siècle, l'État est plus en mesure de fournir aux dépenses. Le XIXe siècle commence par une crise financière majeure en l'an XI (1802-1803), liée à un enchaînement de calamités : inondation et mauvaise récolte : pas d'entrées de la part des fermiers des domaines de l'hôpital, et dégâts sur les terrains bordant le Tarn (perte des semences). Selon les administrateurs, l'hôpital a perdu l'argent des droits féodaux alors que ses dépenses ont été multipliées par 8. À quoi s'ajoute le retard des indemnisations versées par l' État pour l'entretien des enfants "orphelins de la patrie" (guerres napoléoniennes) en nourrice et des militaires hospitalisés. Les administrateurs se plaignent d'ailleurs du fait que les familles aisées d'orphelins profitent des bienfaits de la Nation alors qu'ils pourraient contribuer à l'entretien des enfants. Le retard de paiement des nourrices est de deux mois, et certaines renvoient les enfants ou menacent de le faire (selon le document).
L'hôpital reçoit des dons et legs, et vend les rentes et un certain nombre de bien-fonds qu'il ne souhaite plus gérer (La Baume en 1861, Le Mashuc en 1865, Recoules en 1872) ; une glacière est construite près de la Maladrerie et concédée à un limonadier de Millau, alors que les carrières du Larzac servent à la chaux.
La construction de nouveaux bâtiments
C'est dans les années 1820 que commencent les travaux de reconstruction de l'Hospice.
Le corps central et l'aile gauche sont bâtis entre 1824 et 1827. Mais, faute de moyens financiers, pourtant demandés, l'aile droite n'est pas construite.
La majeure partie des bâtiments de l'Hospice de Millau sont dans un état de vétusté complète. Depuis environ 10 ans, cet établissement a été obligé de dépenser pour la reconstruction du corps de bâtiment renfermant les infirmeries des hommes une quarantaine de mille francs. Il faut encore 10 000 francs pour le terminer et l'hospice est sans ressource.
Il faut attendre les années 1860 pour que les travaux reprennent, d'après les plans originaux de l'architecte départemental Boissonnade, sous la direction de M. Sahut, architecte de la ville. En 1871, l'aile nouvelle est construite, d'autres bâtiments ont été détruits, et il faut aménager la cuisine et les magasins.
Le règlement intérieur et le public accueilli
En 1839, le règlement intérieur prévoit 95 places ; or en l'an 11, il y avait 140 personnes à nourrir, y compris le personnel et 122 nourrices à payer. C'est le préfet qui décide du placement à l'hôpital. Un état en 1867 donne 15 malades et 73 indigents et pensionnaires, 16 employés et 90 enfants placés. Malades, indigents et pensionnaires étaient logés dans deux salles : d'un côté les femmes, de l'autre les hommes.
Le règlement intérieur de 1839 donne une idée de la vie quotidienne dans les bâtiments :
- le personnel était composé d'un secrétaire, un receveur, un économe, un aumônier, un médecin, un chirurgien, cinq soeurs et quatre employées (infirmières ou servantes),
- le travail y était obligatoire, pour ceux qui en avaient les capacités physiques, soit en assumant des tâches nécessaire au fonctionnement de l'hôpital, soit dans un atelier de filature,
- le régime alimentaire est précisément défini : pain blanc, vin, au déjeuner : lait, beurre, fromage et pruneaux, au souper : oeuf, riz, légumes secs, pommes de terre, légumes frais, et au dîner : bouillon, viande cuite ou légumes secs, légumes verts, pommes de terre, riz, poisson, oeufs,
- changement de linge tous les dimanches, de draps tous les mois,
- à l'hôpital, lever à 8 heures, coucher avec le soleil ; à l'hospice lever à 5h et coucher à 20h du 15 avril au 15 septembre, lever à 6h et coucher à 21h le reste de l'année,
- visites autorisées les jeudis et dimanches de 16h à 17h ; sortie des indigents une fois par mois de 10h à 15h ; promenade des enfants le jeudi, etc.
Le personnel
En 1842, un accord est passé avec la congrégation hospitalière des Sœurs du saint sacrement de Macon : l'hôpital emploie cinq sœurs dont une supérieure, surveillante générale, toutes logées, nourries, blanchies, chauffées et éclairées, avec le gros linge fourni et 100 francs par an. Elles peuvent rester à l'hospice jusqu'à leur décès et être enterrées aux frais de l'institution. Parmi les clauses de l'accord figure l'interdiction d'accueillir des femmes de mauvaise vie "ou atteinte du mal qui en procède", ou de donner des soins à des personnes riches, dans l'hospice ou en ville.
Le tableau des employés de 1880 montre la répartition des tâches entre les sœurs, et les autres employés de l'hospice, qui sont majoritairement des personnes recueillies :
- il y a alors sept soeurs qui se partagent les tâches : la supérieure est surveillante générale, les autres s'occupent respectivement de la lingerie et du culte, des hommes malades, des vieillards et des enfants (garçons), des femmes malades, des vieillardes et du lavoir et de la cuisine, des filles et de la couture et des vêtements,
- on retrouve le receveur, l'économe, le secrétaire et l'aumônier,
- des résidents de l'hôpital ont les fonctions de garde magasin, portier, commissionnaire, infirmiers et infirmière, cuisinière, vaisselière, laveuse, cuisinière (Sophie Jeanne, qui a alors 74 ans et réside à l'hôpital depuis son enfance) et aide-cuisinière, porchère, jardinier.
Le receveur touche alors 929 Francs par an, l'économe 800 Francs, le secrétaire 170 Francs, l'aumônier, nourri et logé, gagne 300 Francs, comme le jardinier, les soeurs 130 Francs et les autres employés entre 160 et 12 Francs.
La médicalisation de l'hôpital à la fin du XIXe siècle et au début du XXe siècle
A la fin du XIXe siècle, les progrès de la médecine deviennent décisifs dans la transformation de l'hôpital et sa médicalisation. Le recours aux finances de l'État semble moins difficile. Le rapport d'inspection de 1894 montre les préoccupations nouvelles de l'administration publique. Parmi les moments de progrès de la structure hospitalière, je signalerai 1903-1907 : suite à une inspection de l'hôpital, qui constate son délabrement, des projets de réaménagement sont formulés dans le sens de l'isolement des malades contagieux (dans le pavillon au bout de l'aile droite, auparavant bains-douches), et pour la création d'une maternité à l'écart de l'hôpital.
La maternité est effectivement construite en face de l'hôpital, mais elle est finalement transformée en école, et les salles de maternité restent dans le bâtiment.
Depuis 1945
Les réaménagements se poursuivent au XXe siècle. Les changements décisifs sont intervenus au cours des 60 dernières années.
Saint-Anne
Le projet de séparation de l'hôpital et de l'hospice se concrétise en 1961 après l'achat en 1956 de l'ancien hôtel de la Compagnie du Midi, très beau bâtiment construit en 1927-1928, à la grande époque du Chemin de fer. Siège du commandement allemand pendant la période d’occupation de Millau (1942-1944), il est ensuite fermé, laissé à l'abandon, et finalement racheté pour être aménagé en hôpital, appelé Saint-Anne, Le projet initial est de 96 lits, 42 lits de médecine générale, 30 pour adultes, 6 pour pédiatrie et 6 pour contagieux ; 36 lits de chirurgie dont 6 spécialisés ; 18 lits pour la maternité (alors que la commission de l'hôpital en demandait 142). Le générald e Gaulle vient à Millau pour l'inauguration le premier octobre 1961. Il a été agrandi et transformé en moyens et longs séjours.
Les bâtiments hospitaliers se multiplient dans les décennies qui suivent
Saint-Michel
En 1963, une maison de retraite ouvre dans les locaux de l'ancien couvent de Capucins. Ce couvent a été construit en 1875-1876 avec la réinstallation d'une communauté de moines capucins (branche de l'ordre des franciscains, fondée par le moine réformateur Matteo de Bascio, et confirmée en 1528 par Clément VII, actif dans le contre-réforme). Fermé en 1903 lors des lois sur les congrégations, il devint le collège de jeunes filles inauguré par le ministre Barthou en 1907. Son transfert a permis l'ouverture de la maison de retraite.
Le transfert du lycée au Puits de Calès en 1979, libère les bâtiments de l'ancien lycée, qui accueillent également de services hospitaliers.
L'hôpital du Puits de Calès
La construction du nouvel hôpital du Puits de Calès, inauguré en 1987 en présence de François Mitterand, est un moment décisif de la modernisation de la structure hospitalière.
Les cliniques privées
Les cliniques privées du Pont Lerouge et Saint-Joseph (rue de la Condamine) ont été transférées à la clinique Saint-Côme qui a finalement été rattachée à l'hôpital public.
Et l'Hôtel-Dieu ?
Lieu patrimonial de l'accueil hospitalier de la ville, l'Hôtel-Dieu, devenu hospice, ferme définitivement en 1997. Le bâtiment est partiellement rénové pour accueillir un temps le CNAM, qui est ensuite transféré dans de nouveaux locaux. L'Hôtel-Dieu héberge encore quelques associations, mais cet immense bâtiment est largement sous-utilisé et en partie à l'abandon. Il faut espérer qu'on lui trouver a une véritable fonction, d'utilité collective, qui lui permette d'être entièrement restauré et de demeurer un lieu symbolique de la collectivité et du service public.
Conclusion :
L'histoire de l'assistance et de la santé a laissé des traces dans la ville.
On peut la résumer en quelques grandes phases :
- les fondations pieuses, privées et aléatoires, du Moyen Âge au XVIIe siècle ;
- la mise en place d'une forme d'assistance publique dans le cadre de la monarchie absolue, d'abord centrée sur la mise à l'écart de la société, puis davantage soucieuse de l'accueil (XVII-XIXe siècles) ;
- la séparation progressive des différentes fonctions anciennes de l'hôpital-hospice avec la médicalisation de la partie hospitalière (XXe - XXe siècles) ;
- l'émergence et le développement de nouvelles formes de financements collectifs (mutualistes ou coopératifs) de l'assistance, qui conduisent à l'ambitieux projet de sécurité sociale en 1944-1945, et une véritable politique de santé publique (XXe siècle) ;
- une privatisation progressive de ces formes de financement et une gestion comptable de l'hôpital public, qui, dans le cadre de la mondialisation capitaliste, passent aux mains des opérateurs financiers et mettent aujourd'hui en danger un siècle et demi de progrès médical et social, avec un permanent chantage à la fermeture de la maternité et des services de chirurgie.
Sandra
Merci Jean-Yves pour cet article!