Histoire de Saint-Léons (5) : Saint-Léons au temps des guerres de religion

Saint-Léons

Écrit par Jean-Yves Bou et publié le 03 Dec 2022

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Saint-Léons de 1560 à 1587 : sous le feu des guerres de religion

Les guerres de religion à Saint-Léons, premier temps

Introduit vers 1558 en Rouergue, le protestantisme devint ouvertement prêché à Millau à partir de 1560 sous l’impulsion de quelques familles nobles dont les Combret. La guerre civile éclata en 1561, quand la monarchie voulut interdire la profession publique du calvinisme.

À Saint-Léons, la conversion au protestantisme de Guion II de Combret, seigneur de Broquiès, bouleversa le village. Il se proclama seigneur de Saint-Léons (acte de 1561 transcrit par Grimal) et transforma le monastère en place forte protestante. Par ailleurs, il acheta la seigneurie voisine de Saint-Beauzély à Jacques d’Arpajon époux de Charlotte de Castelpers, sa cousine germaine. Les Castelpers, Arpajon et Combret étaient d’ailleurs les principales familles de la noblesse rouergate à la tête du parti calviniste. On peut émettre l’hypothèse qu’un des buts de Guion II, en tant que noble protestant, était de séculariser la terre de Saint-Léons pour en devenir le seigneur temporel. Ainsi, n’ayant plus en charge le monastère, il aurait accru et sa richesse et sa puissance, pouvant rassembler les terres de Saint-Beauzély et de Saint-Léons. Cependant cette entreprise fut de courte durée puisqu’il céda la seigneurie de Saint-Beauzély en dot à sa sœur Catherine lors de son mariage avec le seigneur de Roquelaure en 1571. Mais cette cession fut contestée par la famille d’Arpajon qui récupéra Saint-Beauzély et en fit vente aux Tauriac.

Guion II cantonna une garnison à Saint-Léons à partir de 1568, alors que la guerre civile, qui s’était apaisée entre 1563 et 1567, reprenait de plus belle.

L’aspect fortifié des vestiges actuels du monastère date de cette époque : fort-bas, échauguettes au grand bâtiment, mur épais avec saillie à la place de l’ancienne entrée de l’église prieurale.

134 fort bas - Copie.JPG

Saint-Léons devint ainsi un poste avancé des protestants en pays catholique, face à Vezins dont le seigneur était capitaine des armées catholiques. Solidement gardé, Saint-Léons ne connut pas les séries de coups de main, de sièges et de reprises dont furent victimes plusieurs bourgs voisins. Ce fut plutôt une des bases arrières des raids protestants en terres catholiques.

En 1579, Guion rétablit la garnison, qui avait été retirée après l’édit de pacification de 1578. La même année, le capitaine Vinte partit de Saint-Léons pour attaquer Ségur, où sa troupe tua un prêtre catholique, pilla armes et chevaux et prit un consul en otage. Mais le 20 septembre 1580 les troupes catholiques assiégèrent Saint-Léons, se postant sur les collines autour du village. Ils canonnèrent, incendièrent et prirent le lieu. Le château et le monastère furent particulièrement visés. Ainsi Saint-Léons redevint définitivement catholique, mais les troubles se poursuivirent dans les alentours.

Les bâtiments du monastères ont été relevés à partir des vestiges de 1580 20 saintléons monastère - Copie.JPG

En effet, les premières victimes de ces guerres furent les campagnes et leurs habitants, pillés, rançonnés, voire exécutés. La communauté fut aussi chargée d’impôts et de corvées pour fortifier, creuser des fossés et entretenir la garnison. Plusieurs documents montrent les dégâts du siège et des exactions à travers la vente de maisons ruinées, et l’abandon des domaines par leurs fermiers. Carrière cite le cas du Moulinau, acquis par Bernard Astorg afin de le reconstruire (acte du 14 juillet 1581, Carbasse). Dans un acte du 12 mai 1586 (Delarcis), le métayer de la Borie Blanque, Jehan Lagarde, laboureur de Saint-Germain, explique que des soldats lui ont volé tout son bétail et qu’il n’ose en prendre d’autre craignant d’être « meurdry et ruyné ».

A. Carrière a relevé trois mentions de ministres ou pasteurs protestants prêchant à Saint-Léons pendant cette période, dont Bernard Astruc en 1569. Toutefois, la tradition dit que la grande majorité de la population de Saint-Léons et de ses environs resta fidèle au catholicisme. Cependant on relève quelques cas de conversion, comme le notaire Bernard III Astorg, installé à Millau, mais richement possessionné à Saint-Léons. Les archives notariales de Millau mentionnent aussi des membres de la famille Sagnier du Viala. Cet aspect de l’histoire de Saint-Léons reste à préciser.

1583-1587 : le rétablissement du monastère, d’après le registre du notaire Jean Delarcis.

Parmi les registres notariés conservés, ceux du notaire Delarcis éclairent la situation du village à cette époque (AD 12, 3 E 20416 et 20417).

Le 19 mars 1583, un nouveau prieur fut indirectement mis en possession du prieuré-seigneurie. Il s’agit de messire Henry de Ladvanture, religieux de Saint-Victor-de-Marseille. Absent à la cérémonie d’investiture, il y fut représenté par frère Jehan Gavalda, moine de Saint-Léons, son procureur, âgé d’environ 75 ans. Cas inhabituel, il fut symboliquement reçu non par un autre religieux du monastère mais par le curé Jehan Rey. En effet, le monastère était dans une situation de crise, plusieurs moines avaient été chassés par Guion II de Combret ou avaient fui. À ce sujet, le second registre contient un acte intéressant rédigé à l’initiative de Raymond Hugonet, de la famille noble d’Engayresque, dejà moine au couvent en 1548. Il explique que Guion de Combret, ayant installé la garnison dans le monastère, aurait ordonné aux religieux de se convertir ou de quitter les lieux, avec menace de mort. Les moines ayant les moyens de vivre hors du monastère se seraient retirés, mais lui étant vieux et sans ressources se convertit par force au protestantisme. Le 17 janvier 1585, averti qu’un nouveau prieur venait d’être nommé, il demanda devant notaire sa réintégration dans la religion catholique et l’ordre de Saint-Benoit.

Les moines qui continuèrent à résider à Saint-Léons et à être très présents dans les registres notariés étaient les officiers claustraux. Il est impossible de préciser quelles furent leur attitude par rapport au protestantisme, aucune source ne le précise. Il s’agit de Pierre de Montcausson, sieur de Saliès, sacristain, Jehan Johannis (ou Jehan Jehan, selon les actes), pitancier et prieur claustral, de la famille des notaires Johannis, et Guion Astorg, camérier, frère du notaire Bernard III Astorg.

Henri de Ladvanture décéda-t-il peu après ? Toujours est-il que le 9 septembre 1584, le prieuré fut attribué par procuration à messire et maître Etienne (Le) Gras, religieux de Saint-Victor. Il était représenté par maître Guillaume Bérard, clerc, qui s’adressa à Jehan Gavalda, en présence de Jehan Johannis. Peu après Etienne Gras se présenta en personne et donna procuration générale à Jehan Gavalda, nouveau prieur claustral en remplacement de Jehan Johannis. Le prieuré et ses revenus furent arrentés le 1er décembre à deux marchands de Millau. C’est le début de la reprise en main du monastère par le nouveau prieur (voir article suivant).

Suivit alors une période de « valse » des officiers claustraux : le 25 octobre 1586, frère Jean Alac, religieux profès du monastère Saint-Martin de La Canourgue se présenta avec ses lettres de nomination à l’office de camérier, en remplacement de Guion Astorg. Il chercha le prieur claustral qui était introuvable et fit dresser un acte de protestation devant notaire puis fut reçu camérier par Raymond Florit, religieux de Notre-Dame de la Daurade de Toulouse, beau-frère du notaire Delarcis, présent au village ce jour-là. Mais en novembre 1687, c’est Raymond Florit lui-même qui devint camérier. Guion Astorg n’était peut-être pas décédé, mais remplacé quand même ? il était absent lorsqu’en juin 1586 Jehan Gavalda et Jehan Rey louèrent les services d’un prêtre, Bernard Maurin de Fabrègues près Gaillac, pour tenir lieu de coadjuteur du camérier, et desservir les paroisses de Saint-Laurent et Mauriac. En 1587, le sacritain Pierre de Montcausson fut remplacé par frère Balthazar Cappel, religieux de Saint-Victor. La cérémonie de mise de possession se fit par procuration : Jehan Gavalda se présenta en son nom à Jehan Boyer, vicaire de Saint-Laurent. En juin 1587, ce fut au tour de la pitancerie, avec la nomination de Jehan Martin, religieux de Saint-Victor-de-Marseille. Jehan Gavalda devint alors sacristain.

Le personnage qui resta central et assura la continuité religieuse de l’église catholique pendant cette période fut bien le curé de Saint-Léons, Jean Rey. Déjà présent en 1556, il assura sa fonction jusque vers 1606. On le retrouve comme témoin de nombreux testaments, en même temps qu’associé à la plupart des actes du monastère, alors qu’à d’autres époques, les curés étaient plutôt mis à l’écart des affaires monastiques. Grimal rapporte que Jean Rey aurait été arrêté et emmené à Millau pendant la période protestante (attesté en 1571 et 1575 dans le livre de comptes de la communauté). En 1598, Jean Rey avait environ 70 ans.

Cependant, la peste sévissait pendant ces années de troubles. Le registre de Delarcis contient de nombreux testaments de pestiférés comme celui de Brenguière Arriquette et de son mari Géraud Massavaques, du 12 avril 1587. Elle est atteinte de la maladie contagieuse de la peste, lui craint d’être infecté : «  le testateur, combien quil sache escrire ne sest point signé craignant que feust pestiféré ». Autre exemple du 23 juillet 1587, le testament de Marguerite Guiscard veuve de Pierre Curanh des Causits, énoncé dans la rue, « craignant d’être infectée de la peste de laquelle maladie son mari seroit mort dans sa maison aux Causits ».

Pourtant, les gens continuaient de circuler, comme ce groupe de passage à Saint-Léons le 23 juillet 1586 et le 18 août : Claude Lasalle et Estienne Boyssière d’Alzon en Cévennes, Guilhaume Nozeran de Campestre, Jehan Rovie de Saint-Martin-de-Londres et George Causse de Saint-Georges-de-Levejac.