Histoire de Saint-Léons (3) : l’établissement de la seigneurie et du monastère

Saint-Léons

Écrit par Jean-Yves Bou et publié le 17 Nov 2022

7 minutes de lecture

Histoire de Saint-Léons (3) : La légende de fondation face aux premiers documents : l’établissement de la seigneurie et du monastère

Les vestiges du monastère de Saint-Léons au centre du village 20 saintléons monastère - Copie.JPG

Texte publié pour la première fois dans l’ouvrage collectif : Saint-Léons, des femmes … des hommes … et leurs racines, Cercle Généalogique de l’Aveyron, 2014

Selon les sources ecclésiastiques du XIXe siècle, le monastère de Saint-Léons fut fondé par Léonce, évêque de Bordeaux. Dans Les bénéfices du diocèse de Rodez, l’abbé Touzery présente les deux traditions qui s’opposent sur le personnage de Léonce dit l’Ancien : l’une le fait vivre au Ve siècle et l’autre au VIe siècle. Dans l’un ou l’autre cas, Léonce se serait retiré en Rouergue pour finir ses jours. Touzery argumente sur sa préférence pour le premier cas, en émettant l’hypothèse que l’évêque fuyait les persécutions du roi wisigoth arien Euric. Il reprend ensuite un récit de fondation proposé par l’abbé Grimal dans la plus belle tradition hagiographique.

Cependant, les éléments historiques que nous possédons tendent à infirmer cette légende. Le nom de Saint-Léons n’apparaît qu’en 961, dans le testament du comte de Rodez Raymond.

120 tombeau Leontius - Copie.JPG Le tombeau de Leontius dans l'ancien cloître du monastère : un bel enfeu gothique (XXI-XIVe siècle)

Auparavant, le lieu s’appelait Nobiliacum, ce qui signifierait le domaine de Nobilis, qui a donné Noailhac dans d’autres endroits, et non « la ferme aux petites prairies » (Carrière). Il s’agirait d’un domaine, une villa, qui fut vendu en 873-874 par Bernard Plantevelue à Richard et Rotrude ancêtres des vicomtes de Millau. L’acte cite trois lieux de culte : Saint-Pierre, Sainte-Marie et Saint-Brice, sans préciser leur statut : lieux distincts sur un grand territoire ou réunis au centre du domaine ? ensemble monastique ? Dès 874-875 Richard et Rotrude cédèrent le domaine à l’abbaye de Vabres. Est-ce alors les moines de Vabres qui y fondèrent un monastère ?

Le monastère n’est explicitement mentionné qu’en 1082, lorsque les vicomtes de Millau le donnèrent à Saint-Victor-de-Marseille. Cette donation fut confirmée en 1112. Selon Jacques Bousquet, qui a réuni ces éléments, le monastère fut certainement une fondation des vicomtes de Millau, imitant l’exemple impérial des Carolingiens (donations à Conques et Saint-Antonin au début du IXe siècle) et celui des comtes de Rodez (fondation de Vabres en 862).

Marseille-Saint-Victor-publié par bjs sur wikicommons en 2018.jpg L'ancienne abbaye Saint-Victor-de-Marseille - photographie par bjs, publiée sur wikicommons en 2018

On retrouve ici des origines communes à de nombreux bourgs monastiques français : au moment où le pouvoir central carolingien s’effaçait au profit des dynasties comtales puis des seigneurs locaux, alors que le modèle monastique devenait puissant, la fondation d’un monastère faisait partie des symboles forts de l’exercice du pouvoir. L’acquisition de reliques et l’élaboration d’une fondation légendaire hagiographique venaient ensuite. Au XIe siècle, sur le modèle de Cluny, quelques monastères puissants par leurs liens avec les pouvoirs laïques, par leur richesse foncière ou par leur aura religieuse, accrurent leurs possessions et leur influence. Dans le sud du Rouergue, c’est l’abbaye Saint-Victor-de-Marseille, dont les abbés étaient issus de la famille vicomtale de Millau (Bernard abbé de 1065 à 1079, et Richard de 1079 à 1106), qui étendit son emprise (1062 : terres à Saint-Laurent, 1070 : prieuré Notre-Dame de Millau, 1071 : Castelnau, 1090 : Saint-Amans-de-Rodez, etc.). Ce mouvement se déroula dans le cadre d’une réforme de l’Église dite Réforme grégorienne, et s’accompagna d’un effort de christianisation des campagnes et d’une reconstruction des édifices religieux. Elle contribua aussi à la mise en valeur des terroirs.

Ainsi Saint-Léons fut d’abord rattaché à Vabres puis attribué à la puissante abbaye bénédictine Saint-Victor-de-Marseille. Le prieuré dépendit de Saint-Victor jusqu’au XVIIIe siècle (1739 précisément). Il s’appelait initialement Saint-Pierre-et-Saint-Léons de Nobiliacum, nom qui disparut après le XIIe s. au profit de Saint-Léons (Sainct Lions ou Lyons).

La communauté monastique était composée d’un prieur, de trois officiers claustraux, de moines et de novices. Une liste de 1378 (AD 13, 1 H 675) compte quinze moines en plus du prieur et des trois officiers claustraux. Plus tard, outre le prieur, le nombre total de moines se fixa à douze moines, comme les apôtres. Les officiers claustraux étaient des moines qui avaient des charges particulières associées à des revenus qui s’ajoutaient à la pension de base versée aux religieux par le prieur sur les impôts des habitants de la terre de Saint-Léons. Ces trois moines étaient le sacristain, chargé du culte dans l’église monastique et doté de revenus éparpillés dans l’ensemble de la seigneurie, le camérier, chargé du vestiaire des moines, qui reçut en 1303 les revenus de la paroisse de Saint-Laurent, et le pitancier, chargé de la table des moines, qui percevait les revenus de la paroisse Saint-Estève-lès-Millau.

Le prieur était également seigneur du territoire dont fut doté le monastère, qui correspond aujourd’hui principalement aux communes de Saint-Léons et Saint-Laurent-du-Lévézou. Il faut y adjoindre trois domaines de la commune de Saint-Beauzély (Boulsairets, La Devèze et La Tacherie). Au début du XIIe siècle le monastère atteignit apparemment le maximum de son patrimoine dont il vendit ensuite des éléments. Parmi ce qu'il conserva jusqu’à la Révolution française, signalons le domaine de Méricamp (commune d’Aguessac) et les prieurés de Saint-Estève-lès-Millau, de Saint-Euzébit-lès-Millau, de Saint-Pierre-de-Brocuéjouls et de Saint-Agnan-de-Ségur.

Le prieur du monastère était donc un seigneur féodal, qui détenait le droit de haute justice sur ses terres et percevait de ses paroissiens et tenanciers à la fois la dîme, le champart (dit quart et quint), le cens et d’autres droits féodaux. Cette situation était singulière dans ce coin du Rouergue, bordé par l’important territoire de la ville de Millau (vicomtal, comtal puis royal), par les seigneuries laïques de Saint-Beauzély, du Roucous, de Vezins et de Sévérac, par l’ancienne seigneurie laïque du Ram devenue terre du roi et par la seigneurie templière puis hospitalière de La Clau. Mais on trouvait en Rouergue d’autres seigneuries ecclésiastiques tenues par des abbés, prieurs ou doyens de maisons religieuses locales : Conques bien sûr, Nant ou Rieupeyroux pour les Bénédictins, Le Monastère Saint-Sernin-sous-Rodez pour les Bénédictines, Belmont pour les Augustins, Beaulieu, Bonnecombe, Bonneval, Locdieu, Nonenque et Sylvanès pour les Cisterciens, etc.

Le territoire de la seigneurie présentait des atouts économiques : la présence d’une route importante (Languedoc-Auvergne) et la complémentarité des terroirs, avec une partie de causse pour le froment et les ovins et une partie de Lévézou pour les bovins, ce qui impliquait d’importantes foires au bétail.

La richesse et la puissance du monastère expliquent que le patrimoine architectural de Saint-Léons soit d’abord le fait de l’Église. Les bâtiments romans ont généralement disparu, à l’exception sans doute des bases de certains murs du monastère, qui reste à étudier. Toutefois, les moines de Saint-Léons auraient été à l’origine de la construction d’autres bâtiments romans de la région, encore visibles : ceux de Castelnau-Pégayrolles ou l’église de Saint-Agnan-de-Ségur. On peut donc imaginer une église paroissiale, une église prieurale et un monastère de style roman au cœur du village. Comme le montrent les vestiges du cloître, avec leurs piliers romans et leurs voûtements reconstruits à l’époque gothique. Dans une travée disparue de ce cloître se trouve encore le « tombeau de Leontius », un bel enfeu gothique à la voûte duquel se trouve l’un des deux blasons du monastère qui associaient les clés de Saint-Pierre et un cerf pour Saint-Léons.

Pour la bibliographie, voir l'article Histoire de Saint-Léons (1)

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